Le décor est sombre, triste, à déplorer. La tête levée, des cendres tombent lentement, se répartissant sur mes cheveux bruns. Le calme après la tempête. Tout est silencieux désormais. Il n'y a plus de sirènes flamboyantes, plus de cris, plus d'instructions hurlées, pas plus que des camions ronflants, ni même de flashs de photographes indiscrets. Il n'y a plus la chaleur insupportable, ni les flammes léchants les parois de pierres. Il ne reste de cela que des ruines fumantes, une odeur putride et un air lourd, irrespirable. Pourtant je suis là, droit comme un piquet.
Accident domestique.
Accident tragique plutôt.
Vers onze heures du soir, ce jour-là, un fâcheux incident s'est produit dans l'appartement B6 d'un immeuble de Chicago. Une fuite de gaz, un feu qui se propage... Il n'a pas fallu longtemps pour que la moitié de la résidence soit dévorée par les flammes. Pas de pertes au niveau des habitants, mais un courageux pompier répondant au prénom de Caleb a malheureusement succombé à de graves blessures suite à l'effondrement d'un pan de l'immeuble.

Ce courageux bonhomme, ce héros, ce pompier, c'était mon frère.

Je me souviens du regard angélique de ma mère sur nous. Elle souriait de toutes ses dents blanches. Même lors de petites bagarres fraternelles, les coins de sa bouche semblaient vouloir s'agrandirent à chaque seconde. Quand elle nous regardait, je lisais tout l'amour qu'elle nous portait, toute l'attention, toute l'affection, qu'elle voulait nous donner. Nous étions ses petits trésors, ses petits anges. Mon père se marrait souvent, quand elle disait ça. Elle se contentait de lui donner un coup de coude dans les côtes, le sourire toujours aux lèvres, tandis qu'il continuait à énumérer nos bêtises. Dans notre petite maison de Chicago, loin de Londres, je pense que nous étions heureux. Mason ! Mason, viens voir !
Je me souviens de ses cheveux du même brun que moi. Je me souviens de ses yeux semblables aux miens, aux petites tâches de rousseur qu'il arborait et que je n'avais pas. Je me souviens de son sourire, de sa vivacité, de ses méandres. Je me souviens, mais de moins en moins. Il avait décidé d'être pompier, un mec du feu, un gars bien. On va pas se mentir, il n'était pas très doué à l'école, pas le genre à rester derrière le bureau bien sagement. Il aimait les films d'actions, les héros modernes. Caleb avait la mauvaise manie de vouloir donner un sens à sa vie au travers de celles des autres. Il vivait pour les autres, il est mort pour les autres. Ca a finit par le perdre.


Chéri ? On s'en va. Du haut de mes dix neuf ans, je relève la tête. On mangeait du poulet, je m'en souviens encore. Quand mes yeux rencontraient ceux de ma mère, je voyais dans les siens tout l'espoir qu'il y résidait. A chaque fois qu'elle me voyait, elle ne voyait, elle ne pensait finalement qu'à lui. Elle ne pouvait pas s'empêcher d'y voir, dans chacun de mes mouvements, le reflet morbide de son petit Caleb, désormais six pieds sous terre. Et d'un côté, je ne lui en ai jamais voulu. D'un côté, moi aussi, j'aurais dévoré des yeux un garçon qui aurait ressemblé à mon fils perdu. J'aurais observé ses faits et gestes, et ça m'aurait soulagé de la douleur de l'absence. Malsain ? Un peu. Mais pourquoi pas, après tout. Il y avait déjà trois semaines qu'il nous avait quitté. Sa chambre n'avait pas été ouverte, les photos n'avaient pas bougé, mais la maison semblait peser encore et encore sur les frêles épaules de la famille. Pourtant, au contraire de certains, mes parents s'aimaient encore plus fort. Aucun d'eux n'avaient rejeté les remords sur l'autre. Aucun d'eux n'avaient voulu affronter ça seul. On va à Fairview. D'accord.
Le plus difficile, c'était de quitter les bases. Mais quand les bases sont pourries, un départ est souvent salvateur. Pour le coup, je n'avais finalement pas trop de regrets, mis à part à dire au revoir à ma meilleure amie, et à quitter une ville que j'affectionnais finalement beaucoup. Mais rien d'autre ne me retenait. Rien d'autre NOUS retenait.

Chéri ? Ch... Mason, qu'est-ce que tu fais ? Elle avait les yeux ronds, ses cheveux commençant à peine à grisonner depuis le temps. Ses yeux d'un marron sombre fixent mes valises presque terminées, désormais. Il reste quelques petites choses, n'ayant pas prévu de prendre l'ensemble totale des objets présents dans ma chambre. J'aurais du la prévenir, mais je n'en ai fait qu'à ma tête. Impulsif, déraisonnable, lunatique. Moi qui d'habitude me plie à leur moindre désir, à ses moindres désirs, ma mère découvre une nouvelle face. En même temps, à vingt six ans, il était temps. Mason ? Sa voix est plus ferme, soudainement. Quoiqu'un peu tremblante. Quoiqu'un peu triste. Je m'en vais, M'man. Un sanglot s'étouffe dans le creux de sa gorge, je l'entends. Mais alors que je m'attendais à ce qu'elle me supplie de réfléchir, encore comme la dernière fois, alors que je m'étais préparé à lui dire un non ferme et direct, elle se contente de venir vers moi, un petit sourire triste mais fier planté sur le visage, en m'aidant à fermer elle-même mes valises.

J'aime beaucoup. Il n'a pas arrêté d'acquiescer, de marmonner. Pendant dix minutes, j'ai eu l'impression qu'il analysait chaque phrase, chaque tournure, chaque ponctuation. A l'entente de ce compliment, je me permets de respirer une bouffée d'air. Ma tête tourne presque à force d'avoir retenu ma respiration pendant si longtemps. Finalement, il pose à plat l'article, et plonge son regard dans le mien. Vous faites quoi, au juste ? J'étudie. Arrête de me mettre en pression, j'ai envie de dire. Arrête de jouer avec mes nerfs. Dis-le, dis-le ! Bien, il va falloir avoir du temps pour me faire un petit truc chaque semaine. Je m'autorise un petit sourire en coin, alors qu'au fond je crie littéralement de joie. Je pense pouvoir m'arranger. Il finit par me tendre amicalement la main, la serrant un petit peu plus fort que ce que j'aurais imaginé. Être pigiste, c'est un début. J'ai droit à un article par semaine, dans un quotidien. Peut-être qu'il finira par m'embaucher à la fin de l'année et que j'aurais mon nom imprimé dans son journal chaque jour. En tout cas, pour le moment, être pigiste, c'est pratique. Malgré qu'il y ait sans arrêt la menace du "Non, pas cette semaine, Olsdal." et donc du coup pas de paye, mais c'est finalement assez grisant de jouer avec le feu (enfin, surtout avec mon proprio').
Trouver un travail a donc été limite plus simple que trouver un appartement. Entre la phobie des résidences de ma mère, de l'obsession des travaux chez mon père, et mon goût assez particulier, j'ai fini par dégoter un truc dans un immeuble sympathique. En fait, au début, j'étais fou de rage. L'appartement est petit, il n'y a pas assez de rangements... mais quand j'ai fait la connaissance de Emma, j'ai finalement trouvé un côté positif dans cet endroit. Au beau milieu de la pause sandwich de mes déménageurs, elle a débarqué tel un ange. Un ange quelque peu... étrange, certes, mais cet élan de naturel m'a fait rire et puis, elle m'a touché. Elle m'a aussi pété une dent avec ses gâteaux, mais elle avait l'air tellement fière et tellement heureuse que ç'aurait simplement bête et cruel de ma part de lui avouer qu'ils étaient ratés.

En fait, je crois que j'essaie de trouver des excuses pour quelque chose d'évident. Emma me plaît. Mais avec ma maladresse et SA maladresse, je crois qu'on est mal barrée. En effet, avec quatre pieds gauches, ça risque d'être compliqué...

Bienvenue parmi nous
OH CRAP SEXY ANDREW